4] Herta de Nitchidorf reçoit le prix Nobel !
ROUMANIE • Herta Müller, une ombre au cimetière de Nitchidorf
De nombreux habitants de son village natal, en Roumanie, ne connaissaient pas Herta Müller avant le Nobel de littérature. Cette distinction réveille le passé souabe de Nitchidorf, dont Jurnalul a arpenté les rues.
16.10.2009 | Viorel Ilisoi | Jurnalul National
- Allemagne
- Die Tageszeitung
Quelques femmes tournent en rond, guettant le passage d'étrangers pour leur demander s'ils sont du comité Nobel, s'ils ont apporté des sous ou autre chose, pour eux, les villageois de Nitchidorf. Mais les étrangers ne sont que des journalistes venus voir de leurs propres yeux ce village qui s'est allumé comme une petite ampoule sur la carte littéraire. Depuis l'annonce du prix, Emilia, la soixantaine, trinque avec les voisines. Elles passent leur temps autour du puits central du village, point de passage obligé, et font l'éloge des Allemands : de ce peuple a émergé une femme qui a gagné 1 million d'euros. Ils l'ont dit à la télé. Emilia Hornea est arrivée dans les années 1980 d'un village de Moldavie, chassée par la pauvreté. Depuis, elle loue une maison de Souabes retournés en Allemagne. La poignée de porte, les volets des fenêtres, tout est comme l'ont laissé les anciens propriétaires quand ils ont pris leurs jambes à leur cou. Seul le jardin n'est plus, comme aux vieux jours, plein de fleurs et de légumes : un enchevêtrement d'herbes sèches et d'épines l'a envahi.
A l'image de la famille Hornea, des centaines de familles sont arrivées à Nitchidorf pour occuper les maisons laissées vacantes par l'exode de la Souabe. Autrefois, il n'y avait que des Allemands dans le village, sauf quelques familles de Roumains, de Hongrois et de Juifs. Aujourd'hui, ils ne sont plus que neuf. Contrairement aux allochtones qui ont investi le village, les Allemands qui sont restés savent tous qui est Herta Müller. Mais personne ne dit du bien d'elle. Et personne n'attend rien d'elle.
De tous les Allemands, seul Anton Kraus tente d'obtenir, indirectement, un bénéfice quelconque de sa notoriété subite. Ancien horloger, le prix de Herta lui apporte, depuis quelques jours, sa ration quotidienne de bière. "J'étais son collègue", glisse-t-il tout bas. Après la première bouteille de bière, il avoue qu'il était de quatre ans son aîné. Pour une autre bière, il peut se souvenir des bizarreries de Herta.
Dans un essai extrait de l'ouvrage Le roi se penche et tue, Herta Müller écrit : "Après l'apparition de mon premier livre (Niederungen, Les Basses Terres), les villageois me crachaient au visage quand ils me croisaient dans les rues de Timisoara (dans le village je n'osais même pas me montrer). Au village, le barbier a fait savoir à mon grand-père qu'il ne le raserait plus jamais. Et les paysans ne voulaient plus emmener ma mère avec eux en tracteur ou en charrette." Ce premier livre de Herta Müller a entériné la rupture définitive entre l'écrivain et son village natal. "Elle n'a dit que des mensonges sur nous dans ce livre", explique Hildegard Anghelas, cousine germaine de Herta Müller. "Que les Souabes avaient embrassé avec enthousiasme le national-socialisme de Hitler, alors qu'en fait ils ont été forcés à combattre dans l'armée allemande. Je ne crois pas qu'elle remettra les pieds par ici."
Pourtant, quelqu'un l'a vue à Nitchidorf, pas plus tard que l'année dernière. Elle est arrivée par le train de Timisoara, seule, mais n'est pas entrée dans le village. Elle s'est arrêtée au cimetière, à la crypte de son père et de ses grands-parents. Le vieux Josef Krady, témoin de cette visite, habite juste à côté de la maison dans laquelle a grandi Herta. Il a 79 ans. Il s'occupe du cimetière, nettoie et polit les croix, dont certaines datent de plus de deux siècles. Pour lui qui n'est allé à l'école - allemande - que pendant quatre ans, le prix Nobel de littérature, puisqu'on en parle autant, doit être important. Il a appris que seuls les plus grands écrivains du monde l'obtiennent. Et il est fier que leur village ait engendré un écrivain digne de cette distinction. Il sait bien que cela ne se reproduira pas, ou alors dans des centaines d'années. Il sait bien que les Allemands sont partis. Il réalise que Nitchidorf a changé et n'est plus ce village de colons qui arrivèrent avec leur instituteur et qui, avant toute chose, construisirent une école.
source :www.courrierinternational.com
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